L’AMOUR DU TRAVAIL
Lorsque mon fils Patrick avait 15 ans, nous lui avions demandé de faire un certain travail au bureau : insérer des feuilles dans des « porte-polices », des enveloppes de plastique transparent. C’était un travail difficile et ennuyeux et il avait réussi à faire à peine 30 porte-polices en deux heures et demie d’ouvrage. Je l’écoutai attentivement et je m’informai de la façon dont il s’y prenait et où il avait travaillé. J’appris qu’il s’était installé dans la pièce d’entreposage des documents, sur des boîtes de carton et qu’il allait chercher chaque document dans sa boîte. Je lui ai dit qu’il y avait sûrement un moyen de rendre ce travail plus intéressant et qu’il était important de s’organiser pour que le travail que nous accomplissons devienne intéressant et soit une source de motivation.
Je lui raconte que j’avais été fortement impressionné de lire dans un livre de Dale Carnagie qu’une secrétaire de bureau qui, devant taper des rapports chaque mois, n’était pas convaincue de l’utilité de son travail : elle le trouvait ennuyeux au point que durant tout le mois, elle appréhendait cette période difficile et ennuyeuse et vivait beaucoup d’anxiété à voir venir la fin de mois. Un jour, elle s’est dit : « Serait-il possible pour moi de rendre ce travail intéressant ? » Elle se souvint que son professeur lui avait enseigné la valeur d’une bonne secrétaire : sa rapidité sur sa dactylo avec un minimum d’erreurs. Elle se dit que la seule façon d’arriver à la rapidité avec un travail bien fait, c’était dans la pratique et qu’il n’y avait pas de meilleure pratique pour elle que la fin de mois. Elle décida d’inscrire le temps et les erreurs, en tentant de s’améliorer d’un mois à l’autre. Elle s’aperçut que chaque mois, elle était capable d’une meilleure performance que le mois précédent; elle trouvait ses fins de mois tellement intéressantes, qu’elle avait hâte à la prochaine fin de mois pour connaître sa performance.
Lui ayant raconté ceci, je propose donc à Patrick, en retournant au bureau, de prendre le temps de s’installer dans un bureau avec l’air conditionné, de placer tous ses documents à la portée de la main et de chronométrer le nombre d’enveloppes qu’il passait dans une heure. Une heure plus tard, il entre dans mon bureau, débordant d’enthousiasme, pour me dire qu’il avait réussi dans une heure, ce qui lui avait demandé deux heures et demie dans l’avant-midi. « Tu viens de découvrir l’essentiel du travail, » car il est toujours possible de rendre un travail intéressant, et, lorsqu’on aime son travail, on le fait mieux.
Il est aussi très important d’avoir de bonnes techniques de travail. Savoir comment réagir face aux événements nous aide à aimer notre travail. Au tout début de ma carrière dans la vente d’assurances, je visitais un client qui possédait une vaste ferme et qui, de plus, était maire de sa paroisse. Entrant dans la maison et m’étant présenté, la dame me dit : « Oh! je ne sais pas si vous serez bien reçu de la part de mon mari, parce qu’il n’est pas content du tout de votre compagnie d’assurances. » Ne sachant trop que faire, je me suis référé aux volumes de Dale Carnagie (que je possédais et savais presque par cœur pour les avoir lus trois fois) pour savoir comment me comporter devant un tel événement; et ce qui m’est venu à l’esprit, c’était : « Va directement au but. » Je lui dis : « Madame Bouchard, j’aimerais bien le rencontrer, » et en mon for intérieur, j’espérais qu’elle me dise : « Il est à l’extérieur » ce qui m’aurait permis d’avoir du temps pour me préparer. Au contraire, elle me dit : « Vous pouvez le rencontrer immédiatement, il est à la laiterie. » Je suis donc allé le voir et, tout en vérifiant mes notions de Carnagie, à savoir de quelle façon je pouvais l’aborder, je lui dis : « Monsieur Bouchard, je suis Léandre Lachance des assurances U.C.C. J’ai appris que vous étiez très mécontent de notre compagnie et je me suis empressé de venir vous rencontrer. » Il me répond : « Qui t’a dit ça toi, que je n’étais pas content? » – « Votre femme » – Lui de me répondre : « Tu sais, les femmes exagèrent toujours. » Déjà j’avais 75 % de mon problème réglé uniquement par l’approche.
Dans une autre circonstance, il y avait une personne qui parlait contre ma compagnie et, en différentes occasions, je me faisais dire par des clients : « On dit que ta compagnie ne paie pas bien les réclamations, etc. » Quand je réussissais à savoir d’où cela provenait, on me donnait toujours le nom d’un monsieur Grenier. Un jour, dans une cordonnerie à Lac-Mégantic, en déposant ses chaussures pour la réparation, il se nomme et je réalise que c’est lui. Alors, sans perdre une minute, je lui dis : « Monsieur Grenier, ça me fait plaisir de vous saluer, je suis Léandre Lachance, des assurances U.C.C. et j’aimerais vous parler. » Nous nous sommes éloignés un peu et je lui dis : « En plusieurs occasions, je me suis laissé dire que vous parliez contre la compagnie que je représente; vous avez sûrement une bonne raison. J’aimerais savoir ce que vous n’avez pas aimé de ma compagnie. » Il m’a alors expliqué les événements.
Après l’avoir écouté attentivement, je lui demandai : « Avez-vous quelque chose d’autre contre ma compagnie? » et lui de me répondre : « Non, tu ne trouves pas que c’est assez ? » Je lui répondis : « Si j’ai bien compris, vous êtes mécontent. » Et je reprends ses paroles (selon une technique que j’ai souvent utilisée) pour qu’il sache que j’avais bien saisi la cause de son insatisfaction. « Eh bien! croyez-moi, ai-je ajouté, si j’étais à votre place, je penserais comme vous. Maintenant est-ce que je peux vous expliquer pourquoi la compagnie a agi de cette façon ? » Et je lui fournis l’explication. Par la suite, dès qu’il a changé de voiture, il m’a appelé pour assurer son véhicule et ce type m’a été depuis un client très fidèle. L’amour que nous avons pour notre travail nous aide à atteindre de nouveaux sommets.
Apprendre à travailler, à devenir efficace a été pour moi assez facile. Enseigner aux autres aussi. La partie que j’ai trouvée plus difficile, c’est d’apprendre à gérer au travers les autres. Comment faire une bonne délégation sans perdre les contrôles et garder les gens intéressés ? J’ai vécu une expérience très intéressante avec un autre de mes fils, Julien, à partir du moment où il a assumé la responsabilité des différentes succursales comme directeur général. Au début, il arrivait à tout propos dans mon bureau pour me parler de tel problème et moi, je me croyais obligé de lui donner la solution. De plus en plus, cette façon de procéder me fatiguait parce qu’il arrivait toujours à un moment où j’étais absorbé dans un autre dossier. Lorsqu’il m’est arrivé à la fin de l’année avec tous les budgets où il avait une multitude de demandes de la part des différents directeurs de succursales, je lui ai demandé de me laisser les demandes sans que je lui donne les réponses sur le champ. J’ai conservé ses budgets avec les demandes et, quand nous nous sommes revus, je les lui ai remis en lui disant que nous devrions changer notre façon de travailler, parce que « si j’apporte la solution à chacun des problèmes que tu m’apportes, je vais sûrement me fourvoyer et ce ne sera pas au bénéfice de l’entreprise. Lorsque je vais dans une succursale, j’ai beaucoup de temps pour réfléchir au problème et trouver une solution. Ici, je me crois obligé d’apporter une réponse rapide avec les éléments que tu me donnes. À l’avenir, j’aimerais qu’après avoir pris conscience du problème, que tu me proposes tes solutions. »
Il a convenu avec moi de cette solution; il s’est même fait une feuille de travail dans laquelle comme premier item est affiché le problème; 2e : la cause du problème, le pour et le contre, et 3e : la philosophie de base de l’entreprise et les critères à respecter pour une bonne solution; 4e : la solution proposée; 5e : la solution retenue. Alors, nous avons établi un moment fixe chaque semaine pour nos rencontres. Comme j’aime bien travailler à trois, nous avons demandé à une autre collaboratrice, ma fille Sylvie, d’assister à chacune de ces rencontres hebdomadaires. Nous réalisions que nous accomplissions beaucoup plus et que les décisions étaient meilleures. Julien m’a mentionné qu’il était heureux que nous ayons changé la formule. Auparavant, il avait l’impression de faire des commissions; il m’apportait un problème, je lui donnais la solution et il retournait devant le directeur. Ce dernier soulevait un autre point s’il n’était pas d’accord avec ce que je recommandais et Julien avait l’impression d’être la balle qu’on se renvoie de l’un à l’autre. Désormais, c’était sa solution : il l’avait étudiée, analysée, il était capable de la défendre; tout le monde s’en portait mieux, et moi aussi.
Il m’apparaît que ce n’est peut-être pas ce que nous accomplissons qui est réellement important, mais bien ce que nous devenons en accomplissant. Un jour, je l’ai compris alors que je vivais une période difficile au bureau. Me sentant seul, j’ai demandé à Dieu de m’aider, et la question qui m’est venue à l’esprit est celle-ci : « Daignera-t-Il, Lui, le Dieu de l’univers, considérer l’appel à l’aide d’un dirigeant d’un petit bureau d’assurances ? » Et là, j’ai imaginé l’univers dans son immensité : nous revenions d’une excursion au planétarium du mont Mégantic où on nous avait dit qu’il y avait un milliard de planètes et d’étoiles dans notre galaxie, et qu’il y avait autant de galaxies qu’il y a de planètes et d’étoiles dans la nôtre, donc un milliard de galaxies, et, à l’intérieur de ce milliard, il y a une petite galaxie, la nôtre, et, à l’intérieur de cette petite galaxie, il y a une petite planète, la Terre, et, sur cette terre, il y a un petit pays qui s’appelle le Canada, et, à l’intérieur de ce petit pays, il y a une petite ville nommée Sherbrooke. À l’intérieur de cette petite ville, il y a une petite bâtisse … et ce dirigeant perplexe d’un petit bureau d’assurances en quête d’être secouru.
Je me suis dit, ce doit être à peu près la même chose que lorsque mon petit garçon de trois ans, voulant se faire une maison avec une boîte de carton dit : « Papa, viens m’aider à faire ma maison. » Et moi de lui répondre : « Encore une autre traînerie qu’il faudra jeter aux poubelles. » Mais il insiste; pour lui, c’est important de construire sa petite maison au moyen d’une boîte de carton. Alors je prends le couteau, les ciseaux, le papier collant et on fait des portes, des fenêtres. Avant que la maison soit complètement terminée, lui est déjà parti s’occuper à autre chose. Alors on prend ça et on l’expédie à la poubelle! Je me demande alors pourquoi je l’ai aidé ? Pour la valeur de la maison ? Absolument pas, mais tout simplement pour ce qu’il devient, lui, en faisant une maison avec une boîte de carton. Et je pense que dans nos entreprises, Dieu vient nous aider, non pas pour la valeur de l’entreprise que nous bâtissons, mais bien pour ce que nous devenons en bâtissant, pour ce que nous devenons en travaillant.
L’amour que nous avons pour notre travail nous aide à atteindre de nouveaux sommets.